« La pratique du Ch’an » – Hsu Yun

Master

(Chers amis), vous êtes souvent venus demander que je vous instruise et j’ai vraiment honte (de mon incompétence). (Chaque jour), du matin au soir, vous avez travaillé dur, coupant le bois de chauffage, labourant les champs, labourant la terre et charriant des briques. Malgré cela, vous vous souvenez encore de vos devoirs religieux ; votre sérieux fait chaud au cœur. Moi, Hsu Yun, j’ai vraiment honte de mon insuffisance religieuse et de mon manque de vertu. Je ne suis pas qualifier pour vous instruire et ne peut que citer quelques anciens en guise de réponse à vos questions.
Pré-requis de la pratique.
1 – Ferme confiance dans la loi de causalité.
Qui que l’on soit, spécialement si l’on s’efforce de remplir des devoirs religieux, on devrait croire fermement dans la loi de causalité. Si l’on manque de foi et que l’on fait tout ce que l’on aime, non seulement on échouera à remplir ses devoirs religieux mais en outre nous ne pourrons échapper aux conséquences triplement (NDT : En allant dans l’enfer du feu, dans l’enfer du sang, où les habitants s’entredévorent comme des animaux et dans l’enfer des sabres d’Asipattra, où les feuilles et l’herbe son aussi aiguisées que des lames) malheureuses de nos actes.
Un vieux maître disait : « La manière dont on va dans cette vie présente, nous indique ce que l’on a fait dans une vie précédente ; de la même façon on peut se faire une idée de la manière dont se passera notre prochaine vie par nos actes dans cette vie actuelle. »
Il disait aussi : « Les conséquences de nos actes ne s’effacent pas, même après des centaines ou des milliers d’éons, quand elles arriveront à maturité nous devrons en subir les effets. »
Il est écrit dans le Soûtra de la Marche héroïque (大佛頂首楞嚴經): « Si la graine n’est pas bonne, le fruit sera mauvais ». Donc si l’on sème une bonne graine, on récolte un bon fruit ; si l’on sème une mauvaise graine, on récolte un mauvais fruit. Si l’on sème des graines de melon, on récoltera des melons ; si l’on sème des graines de haricot, on récoltera des haricots. C’est tout à fait vrai.
Puisque je vous parle de la loi de causalité, je vais vous raconter deux histoires pour l’illustrer.

La première concerne le massacre des hommes du clan Shakya par le Roi Virudhaka. Avant l’advenue en ce monde du Bouddha Shakyamuni, il y avait près de la ville de Kapila un village de pêcheurs près d’un grand étang. Un jour, à cause d’une grande sécheresse, l’étang se tarit et tous les poissons furent pris et mangés par les villageois. Le dernier poisson était énorme et avant qu’il ne fût tué, un garçon qui n’avait jamais mangé de poisson, joua avec lui et lui frappa trois fois sur la tête. Plus tard, du temps du Bouddha Shakyamuni, le roi Prasenajit qui suivait l’enseignement du Bouddha, se maria à une femme de clan Shakya, laquelle donna naissance au futur Roi Virudhaka. Jeune, Virudhaka fit ses études à Kapila, alors habitée par les hommes du clan Shakya. Un jour, en jouant, le garçon monta sur le siège du Bouddha, fut réprimandé et obligé d’en descendre. Il en garda de l’amertume et quand il devint roi, il poussa ses soldats à attaquer Kapila, tuant tous ses habitants. Cependant, le Bouddha souffrait d’une migraine depuis trois jours. Quand ses disciples lui demandèrent d’aider les pauvres habitants de Kapila, le Bouddha répondit que leur karma avait été fixé et que l’on n’y pouvait rien changé. Par ses pouvoirs miraculeux, Maudgalyayana, l’un des premiers disciples du Bouddha, essaya tout de même de sauver cinq cents hommes du clan Shakya et pensa qu’il pouvait leur donner refuge dans son propre bol, levé en l’air. Quand le bol fut rabaissé, tous les hommes s’étaient transformés en sang. Quand il fut interrogé par ses premiers disciples, le Bouddha raconta l’histoire (le kung an) des villageois qui dans le passé avaient tué tous les poissons de leur étang : le roi Virudhaka était alors le gros poisson et ses soldats les autres poissons de l’étang ; les habitants de Kapila qui venaient d’être tués étaient alors les villageois qui avaient mangé les poissons ; et le Bouddha lui-même avait été le garçon qui frappa trois fois sur la tête du gros poisson. C’est pourquoi il souffrait depuis trois jours de migraine. Puisque l’on ne peut pas échapper au karma, les hommes du clan Shakya, même ceux sauvés par Maudgalyayana, avaient partagé le même destin. Plus tard, le roi Virudhaka est re-né en enfer.
Puisque qu’une cause produit un effet qui devient lui-même une nouvelle cause, la théorie de la rétribution est sans limite. La loi de causalité est vraiment redoutable.
La seconde histoire est celle du maître Ch’an Pai Chang qui libéra un renard sauvage. Un jour, après une séance de méditation assise, alors que ses disciples s’étaient tous retirés, le vieux maître Pai Chang remarqua qu’un vieil homme était resté. Pai Chang lui demanda ce qu’il faisait et celui-ci lui répondit : « Je ne suis pas un être humain, mais l’esprit d’un renard sauvage. Dans ma vie précédente, j’étais l’abbé de ce monastère. Un jour, un moine me demanda : « Un homme qui travaille à se perfectionner moralement est-il soumis à la loi de la rétribution ? » Je lui répondis : « Non, il est libéré de la loi de la rétribution. » A cause de cette seule réponse, ma rétribution fut de vivre en tant qu’esprit d’un renard sauvage pendant cinq cents ans. Le maître sera-t-il assez compatissant pour m’éclairer sur tout ceci ? » Pai Chang répondit au vieil homme : « Posez-moi la même question que celle qui vous fut posée et je vous expliquerai ». L’homme demanda alors au maître : « Je souhaiterais demander au maître si quelqu’un qui travaille à son perfectionnement moral est soumis à la loi de la rétribution ? » Pai Chang alors répondit : « Il n’est pas sans voir les causes et les effets. » Sur ce, le vieil homme fut grandement éclairé. Il se prosterna pour remercier le maître et dit : « Je vous suis obligé d’avoir bien voulu me répondre et suis maintenant libéré de ce corps de renard. Je vis dans une petite grotte dans la montagne qui est derrière et j’espère que vous voudrez bien m’accorder les rites funéraires usuels pour un moine ». Le jour suivant, Pai Chang alla dans la montagne, où dans une grotte il explora le sol avec ses moines et découvrit un renard mort, pour lequel il conduisit les rites funéraires réservés aux moines.
Chers amis, après avoir écouté ces deux histoires, vous pouvez comprendre que la loi de causalité est effectivement une chose terrible. Même après avoir atteint la bouddhéité, le Bouddha souffrait encore d’une migraine due à ce qu’il avait fait dans une vie passée. La rétribution des actes est inexorable et un karma fixé inéluctable. Nous devrions donc être toujours attentifs et prendre garde à ne pas créer de nouvelles causes karmiques.
2 – Stricte observance des règles de la discipline (préceptes)
Dans notre effort pour remplir nos devoirs religieux, la priorité c’est l’observance des règles de la discipline. La discipline est la base de la Bodhi ; elle engendre l’équanimité et l’équanimité engendre la sagesse. Aucun perfectionnement moral n’est possible sans l’observance des règles de discipline. Le Soûtra de la Marche héroïque qui énumère quatre sortes de pureté, explique clairement que sans observance des règles de discipline, entrer en Samadhi ne nettoie pas des impuretés. Et même que les acquis de l’exercice du Dhyana pourront être la cause d’une chute dans le royaume de Mara et dans l’hérésie. C’est pourquoi l’observance des règles de discipline est si importante. Celui qui s’y soumet est soutenu et protégé par les rois Dragons et les Devas, respecté et craint par Mara et les hérétiques. Celui qui les rompt est un fraudeur dont les fantômes effaceront toutes traces.
Autrefois, dans l’État du Kashmir, près d’un monastère vivait un dragon très dangereux, qui faisait des ravages dans la région. Les cinq cents Arhats du monastère avaient échoué à le chasser malgré les pouvoirs qu’ils avaient acquis par l’exercice du Dhyana-Samadhi. Un jour, un moine vint qui n’entra pas en Samadhi mais dit au dragon : « Celui qui est sage et vertueux te demande de partir et de t’installer ailleurs ». Sur ce, le dragon quitta la place. Quand les Arhats lui demandèrent comment il avait fait fuir le dragon, le moine répondit : « Je n’ai pas usé des pouvoirs du Samadhi ; je respecte scrupuleusement la discipline et observe la plus petite règle comme s’il s’agissait de la plus importante ». Ainsi pouvons-nous en conclure que cinq cent Arhats, maîtres du Samadhi ne valent pas un seul moine qui observe strictement les règles de la discipline.
Si vous voulez me demander pourquoi alors le sixième Pratriarche a dit :
« Pourquoi la discipline devrait-elle être observée si l’esprit est déjà impartial ?
Pourquoi des hommes francs, sans détour devraient-ils pratiquer le Ch’an ? »
Je vous répondrai :
Votre esprit serait-il vraiment impartial et sans détour si la dame Chang O descendait nue de la lune et vous embrassait ? Et si quelqu’un vous insultait sans raison et vous battait, ne ressentiriez vous pas de colère et d’amertume ? Ne faites-vous aucune distinction entre l’animosité et l’affection, entre la haine et l’amour, entre vous et les autres, vrai et faux ? Si vous pouvez répondre par l’affirmative à tout ceci dites-le, sinon ne vous mentez pas délibérément.
3 – Une confiance ferme.
Une foi inébranlable est la base de notre pratique. Parce que la foi est la source de la doctrine et que sans confiance rien ne peut être créé de bon. Si nous voulons être libérés du cycle de la naissance-et-mort, nous devons d’abord développer une foi inébranlable. Le Bouddha a dit que les êtres vivants sur terre ont en eux-mêmes la sagesse méritoire du Tathagata et que s’ils ne la réalisent pas, c’est uniquement à cause de leurs erreurs de jugement et de leurs attachements. Il a aussi exposé toutes les portes du Dharma pour guérir de toutes les sortes de maladies dont souffrent les êtres vivants. Nous devons avoir toute confiance dans ce qu’il a expliqué et croire fermement que tous les êtres vivants peuvent atteindre la bouddhéité.
Mais pourquoi échouons-nous malgré notre confiance, notre foi à atteindre la bouddhéité ? Parce que nous n’appliquons pas la bonne méthode.
Illustrons ces propos. Nous savons que la sauce de soja provient des graines de soja, mais si nous ne fabriquons pas cette sauce nous-mêmes, les graines de soja ne donneront pas de sauce. Les graines de soja sont la base, mais nous savons aussi qu’il faut les mélanger avec du sel. Bref, si nous connaissons la recette, nous mettrons les graines dans de l’eau, les cuirons, les laisserons fermenter, filtrerons l’eau et y ajouterons du sel ; ainsi fait, nous sommes sûrs d’obtenir de la sauce de soja.
Il en est de même en ce qui concerne notre pratique religieuse : on ne peut atteindre la bouddhéité sans entraînement, mais on ne l’atteindra pas non plus si notre méthode est incorrecte. Si nous nous entraînons correctement, sans rechuter dans nos erreurs, sans regrets, nous sommes sûrs d’atteindre la bouddhéité.
Nous devons donc fermement croire que nous sommes tous fondamentalement des Bouddhas ; nous devons aussi croire fermement qu’une pratique correcte mène inéluctablement à la bouddhéité.
Maître Yung Chia a dit dans son Chant de l’Éveil :
« Quand le Réel est atteint, il n’y a plus d’ego ni de dharma,
Et en un instant le l’Avici est éradiqué.
Que ma langue me soit arrachée pour l’éternité si je mens. »
Le vieux maître était vraiment compatissant et s’est ainsi engagé pour que ses successeurs développent une foi inébranlable.
4 – Choix de la méthode d’entraînement.
Après avoir développé une foi ferme, on doit choisir une porte du Dharma pour s’entraîner. On ne devrait jamais en changer, et à partir de moment où l’on a fait son choix, qu’il s’agisse de la répétition du nom de Bouddha, de la récitation d’un mantra ou de la pratique du Ch’an, on devrait s’y tenir sans retour et sans regret, pour toujours. Si elle ne donne pas de résultat tout de suite, on doit s’y remettre le lendemain ; si elle ne donne pas de résultat cette année, on doit poursuivre l’année qui suit ; et si elle ne donne pas de résultat dans cette vie, on doit continuer dans la vie suivante.
Le vieux maître Kuei Shan disait : « Si l’on pratique dans chaque réincarnation, on peut espérer atteindre l’état de Bouddha ». Il y a beaucoup de gens qui sont irrésolus ; Ils apprennent à réciter le nom du Bouddha et décident de le répéter quelques jours, après quoi ils apprennent à pratiquer le Ch’an et décident de changer. A changer ainsi de méthodes, on peut toujours s’entraîner : on n’arrive à aucun résultat. N’est-ce pas dommage ?
La méthode d’entraînement Ch’an.
Bien qu’il existe beaucoup de portes du Dharma, le Bouddha, les Patriarches et grands maîtres s’accordèrent tous sur le fait que le Ch’an était une merveilleuse et insurpassable pratique.
Dans l’assemblée de Shurangama, le Bouddha demanda à Manjusri de choisir entre différentes méthodes d’Éveil ; il estima que la méthode du Bodhisattva Avalokitésvara, qui consiste à utiliser sa capacité d’écoute, était la meilleure. Tendre l’oreille à l’intérieur pour écouter notre Propre Nature, c’est une des méthodes de l’entraînement Ch’an.
Nous sommes actuellement dans une salle Ch’an, dans laquelle il convient de discuter de cet entraînement.
Les fondamentaux de la pratique Ch’an.
Nos activités quotidiennes s’accomplissent dans la vérité même. Existe-t-il en fait un endroit qui ne soit un Bodhimandala (NDT : lieu d’illumination) ? Une salle Ch’an n’est pas indispensable ; d’ailleurs, le Ch’an ce n’est pas s’asseoir pour méditer. Ce que l’on appelle une salle de Ch’an et la posture assise ne sont que des moyens, offerts à ceux dont la sagesse n’est pas assez profonde.
Quand on s’assoit pour s’entraîner, le corps et l’esprit doivent être bien maîtrisés. Sinon, le moindre mal provoquera une maladie et un grand mal un empêtrement avec le démon, ce qui est des plus regrettables. Dans une salle de Ch’an, des bâtonnets d’encens sont allumés pour vous aider à maîtriser votre corps et votre esprit, que vous soyez assis ou en train de marcher.
Il y a beaucoup d’autres manières d’y parvenir, mais je ne traiterais ici que des moyens essentiels.
Quand on s’assied pour la méditation Ch’an, la posture correcte doit être naturelle. Le milieu du corps ne doit pas porter en avant, ce serait attirer la chaleur interne vers le haut et provoquer après la séance des larmes, une mauvaise haleine, une respiration gênée, une perte d’appétit, voire des vomissements de sang. On ne doit pas non plus porter le milieu du corps et la tête vers l’arrière : il en résulterait facilement un alourdissement de l’esprit. Dès qu’on ressent que l’esprit devient somnolent, on doit ouvrir grand les yeux, remonter sa ceinture et remuer un peu les fesses : la somnolence disparaîtra naturellement.
Si l’on se jette dans la pratique avec trop de hâte et de fougue, on ressentira une certaine sécheresse dans la poitrine, assez ennuyeuse. Si tel est le cas, il vaut mieux arrêter l’entraînement le temps que le bâtonnet d’encens se consume sur une hauteur de un centimètre et demie, et le reprendre après avoir retrouvé son aise. Si l’on ne procède pas ainsi, on deviendra avec le temps surexcitable, voire fou ou possédé.
A mesure que la méditation assise devient efficiente, on rencontre tellement d’états d’esprit que l’on ne peut pas les énumérer tous ; mais si on ne s’en saisit pas, ce ne seront pas des entraves. C’est précisément ce qu’exprime le proverbe : « Ne vous interrogez pas sur l’extraordinaire et l’extraordinaire fera retraite ». Même si toutes sortes d’esprits malins viennent vous troubler, n’ayez pas peur, n’y accordez pas d’attention. Même si le Bouddha Shakyamuni vous pose une main sur la tête n’y prenez pas garde. Le Soûtra de la Marche héroïque dit : « Un état parfait est celui où l’esprit n’est pas troublé par ce qui est sacré et à l’abri des démons ».
Comment débuter dans la pratique : distinction entre l’hôte et le client.
Comment doit-on commencer la pratique Ch’an ? Dans le Soûtra de la Marche héroïque, il est question de deux mots : « Poussière étrangère ». C’est justement par ceci que nous devrions commencer. Il est dit dans le Soûtra : « Par exemple, un voyageur s’arrête dans une auberge pour y passer la nuit ou y prendre un repas ; aussitôt fait, il plie bagage et poursuit sa route. L’hôte, lui, ne doit aller nulle part. J’en déduis que celui qui ne reste pas est le client et que celui qui reste est l’hôte. Quand une chose est étrangère, elle ne reste pas. Ou bien, quand dans un ciel clair, le soleil se lève et illumine la maison par l’une de ses ouvertures, on voit la poussière voler dans l’air, alors que l’air lui-même ne bouge pas. Ainsi ce qui reste immobile peut-il être considéré comme vide tandis que seule bouge la poussière. »
La poussière étrangère illustre les pensées erronées et le vide constitue notre propre nature, laquelle est l’hôte permanent qui ne suit pas le client lors de son départ. Cela sert à illustrer le caractère éternel, immuable de notre Propre Nature, qui ne suit pas les flux et reflux des pensées. Il est donc dit : « Si nous ne prêtons attention à rien, nous ne sommes pas dérangé, même au milieu du monde. » Par la poussière, qui vole mais ne trouble pas le vide, qui lui-même reste immuable, on comprend que les pensées erronées affluent et refluent sans émouvoir notre Propre Nature, inaltérable dans sa bhûtatathatâ (NDT : son ainsité). C’est ce que signifie l’adage : « Si la pensée ne s’élève pas, il n’y a rien à réprouver ».
Si les mot « étranger » et « poussière » sont assez frustes, les débutants doivent bien faire la distinction entre « hôte » et « client » ; ainsi ne seront-ils plus chahutés par l’errance de leur pensée. Au fur et à mesure, ils apprendront ce qu’expriment les mots « vide » et « poussière », et ne seront plus gênés par leur pensée vagabonde. Il est dit : « Quand on sait ce qu’est l’erreur, il n’y pas plus de mal. » Si vous approfondissez et comprenez bien tout cela, une bonne moitié de ce qu’est la pratique Ch’an vous deviendra tout à fait claire.
Hua t’ou et doute.
Dans les temps anciens, les Patriarches et les Maîtres indiquaient comment l’esprit peut arriver directement à la conception nette de notre Propre nature et parvenir à la bouddhéité. Comme Bodhidharma, qui tranquillisait l’esprit et le sixième Patriarche, qui ne parlait que de « perception de notre Propre nature », tous préconisaient seulement sa claire connaissance, sans faux-semblant. Ils ne recommandaient pas d’examiner un hua t’ou, mais ils s’aperçurent par la suite que les hommes devenaient incertains, qu’ils n’avaient plus assez de détermination, qu’ils se laissaient aller à jouer des tours et qu’ils se targuaient de posséder les joyaux des autres. C’est pourquoi, ces Maîtres furent contraints de fonder des lignées personnelles, chacune ayant sa propre méthode ; de ce moment, parut la technique du hua t’ou.
Il existe de nombreux hua t’ou, tels que : « Toutes choses peuvent être ramenées à l’Un, à quoi l’Un peut-il être ramené ? », « Avant que tu fusses né, quel était ton vrai visage ? ». De nos jours le hua t’ou le plus utilisé est : « Qui répète le nom de Bouddha ? »
Qu’est-ce qu’un Hua t’ou, le mot-tête ? Le mot est ce que l’on prononce, la tête ce qui précède l’énonciation. Par exemple, « Amithâba-Bouddha » est un mot, ce qui est avant son énonciation est le hua t’ou. Ce que l’on appelle ainsi est le moment qui précède la venue de la pensée, accompagnée du mot qui la porte. Aussitôt que celle-ci vient à la conscience, elle devient Hua-wei. L’instant qui précède l’apparition d’une pensée peut aussi être appelé le « non-né ». Ce vide n’est ni troublé ni obscurci, ni immobile ni borné est nommé le « sans-fin ». L’action de diriger sans relâche son attention vers l’intérieur de soi, à l’exclusion de toute autre chose, s’appelle « examiner le hua t’ou » ou « faire attention au hua t’ou ».
Quand on examine le hua t’ou, la chose la plus importante est de faire naître un doute. Le doute est la béquille du hua t’ou. Par exemple, quand on pose la question : « Qui répète le nom du Bouddha ? » chacun sait que c’est lui-même ; mais est-ce répété en esprit ou par les lèvres ? Si ce sont les lèvres qui répètent, pourquoi ne le répètent-elles pas pendant le sommeil ? Si c’est en esprit, à quoi ressemble cet esprit ? Celui-ci étant intangible, on ne peut répondre avec certitude. Par conséquent, on éprouve un léger sentiment de doute à la question « Qui ? ». Ce doute ne doit pas être grossier ; plus il est fin, mieux c’est. En tout temps et en tout lieu, on doit rester plongé dans ce doute, comme dans une rivière au courant continu, sans laisser apparaître d’autre pensée. Si le doute se maintient, n’essayez pas de l’entamer ; s’il s’estompe, on doit doucement le ranimer. Les débutants trouveront que la pratique du hua t’ou est plus efficace dans un endroit tranquille qu’au milieu de l’agitation. Cependant, on ne devrait pas faire la distinction, mais rester indifférent à l’efficience ou non de la pratique, à la tranquillité et à l’agitation. On devrait pratiquer avec un esprit uni.
Dans le hua t’ou « Qui répète le nom du Bouddha ? », on doit se concentrer sur le mot « qui », les autres ne servant qu’à donner l’idée générale de la phrase. Par exemple dans « Qui porte cette robe et mange du riz ? », « Qui défèque et urine ? », « Qui met fin à l’ignorance ? » et « Qui peut savoir et sentir ? », on doit mettre l’accent sur le mot « Qui », que l’on marche, reste debout, couché ou appuyé sur quelque chose ; alors nous pourront susciter un doute sans utiliser notre faculté de réflexion et notre intelligence discriminative. La question « Qui ? » est donc une merveilleuse technique dans l’entraînement Ch’an. On ne doit toutefois pas la répéter comme les pratiquants de la Terre pure répètent le nom du Bouddha. On ne doit pas plus chercher à discerner par le raisonnement. Ceux qui récitent sans cesse « Qui répète le nom du Bouddha ? » feraient mieux de répéter le nom d’Amitabha Bouddha, cela leur serait plus bénéfique. Il y a aussi ceux qui se complaisent à penser à toutes sortes de choses et à fureter en esprit ici et là, disant qu’ils font ainsi naître le doute ; ceux-ci n’ont pas conscience que plus ils pensent, plus ils produisent de pensées erronées, comme quelqu’un qui voudrait monter mais en réalité descend. Il faut que vous preniez garde à tout cela.
D’ordinaire, les débutants font naître un doute assez grossier ; il peut s’arrêter brusquement, pour reprendre ensuite ; paraît tantôt familier et tantôt étrange. Cela n’est pas le bon doute, c’est seulement leur pensée. A mesure que l’esprit vagabond aura été maîtrisé, on pourra mettre un frein au processus de la pensée et seulement alors on pourra parler d’examen du hua t’ou. Avec le temps, on acquerra de l’expérience dans la pratique, et il n’y aura plus besoin de provoquer le doute, qui s’installera de lui-même. En réalité, au début, la pratique consiste seulement à mettre fin au vagabondage de la pensée. Quand le vrai doute apparaît de lui-même, on peut alors parler d’entraînement. C’est à ce moment que l’on atteint une « porte stratégique », mais attention : il est alors facile de se tromper de chemin.
Tout d’abord, il y a un moment où l’on éprouve une complète pureté et une légèreté extrême ; si l’on n’est pas vigilant, si l’on n’observe pas le phénomène de près : on tombe dans la torpeur. Si l’on pratique sous la direction d’un maître accompli, celui-ci reconnaîtra l’état dans lequel l’étudiant se trouve et le frappera avec l’habituel bâton plat, dissipant ainsi le brouillard qui voile le ciel. Beaucoup de pratiquants sont à ce moment précis éveillés à la vérité. Ensuite, quand l’état de pureté et de vide apparaît, si le doute disparaît, on connaît un état qui ne peut être qualifié, où le méditant est comme immergé silencieusement dans de l’eau stagnante. Dans cet état, il faut immédiatement faire naître le doute, prendre conscience de l’état dans lequel on se trouve et le contempler. Avoir conscience de cet état, c’est se libérer de l’illusion ; c’est la sagesse. Le contempler, c’est faire le clair sur la situation ; c’est l’équanimité. Cet état d’esprit unifié sera parfaitement tranquille et rayonnant, dans son équanimité totale, sa lucidité parfaite et son intelligence pénétrante, comme la fumée persistante d’un feu solitaire. Dans cet état, on devrait être pourvu de l’œil de diamant et se retenir de faire naître quoi que ce soit d’autre, au risque sinon d’ajouter une autre tête à sa propre tête.
Autrefois, un moine demanda au Maître Chao Chou : « Que doit-on faire quand il n’y a rien à emporter ? » Chao Chou répondit : « Laissez tomber. » Le moine le questionna de nouveau : « Que puis-je laisser tomber si il n’y a rien à prendre ? » Chao Chou répliqua : « Si vous ne pouvez pas laisser tomber, alors emportez-le. » C’est exactement la même chose que l’adage qui dit que seul celui qui boit sait si l’eau est froide ou chaude. Cela ne peut être exprimé par des mots, seul celui qui atteint cet état d’esprit peut en connaître le goût. C’est ce que veulent dire ces vers :
Lorsque vous rencontrez un maître d’escrime, montrez-lui votre sabre.
Ne donnez pas votre poème à qui n’est pas lui-même poète.
Porter attention à un hua t’ou et tendre l’oreille à sa Vraie nature.
On pourrait me demander : « Comment la méthode du bodhisattva Avalokitshvara, consistant à tendre l’oreille vers l’intérieur de soi pour entendre sa Vraie nature, peut-elle être considéré comme une pratique Ch’an ? » Je viens de parler de l’examen du hua t’ou, c’est-à-dire : diriger sans relâche la lumière vers l’intérieur de soi, sur « ce qui n’est pas né et ne meurt pas » – le hua t’ou. Tendre l’oreille à notre véritable nature signifie que vous devez aussi diriger votre ouïe sans relâche et avec un seul but : entendre votre Vraie nature. Tendre l’oreille, c’est re-tourner son attention. « Ce qui n’est pas né et ne meurt pas » n’est rien d’autre que notre Vraie nature. Quand l’ouïe et la vue suivent le son et la forme dans le courant du monde, l’ouïe ne va pas plus loin que le son, la vue ne porte pas plus loin que l’apparence. Quand l’attention est tournée vers l’intérieur pour contempler notre Vraie nature, on va à contre-courant. Quand l’écoute et le regard ne sont plus tendus vers le son et les formes, ils deviennent fondamentalement purs, lumineux et ne diffèrent plus. Il convient de savoir que ce que nous appelons « faire attention au hua t’ou » et « tendre l’oreille à sa Vraie nature » n’utilisent pas vraiment l’œil pour observer et l’oreille pour écouter. Si l’on emploie l’œil pour observer et l’oreille pour écouter, la tension s’effectuera nécessairement en direction d’un son et d’une forme, donc vers l’extérieur ; cela pourrait s’appeler « s’abandonner au courant du monde ». S’il y a concentration sur « ce qui n’est pas né et ne meurt pas », sans chercher à percevoir un son ou une forme, on va à contre-courant ; c’est cela examiner un hua t’ou ou « tendre l’oreille à sa Vraie nature ».
Être sérieux et persévérant dans sa volonté de quitter le samsara.
La pratique Ch’an exige d’avoir sérieusement envie de renoncer au royaume de la naissance-et-mort et d’être très persévérant. Si l’on n’est pas sérieux, le doute est impossible à faire émerger et l’effort vain. Le défaut de persévérance mène à la paresse et la pratique en deviendra discontinue. Persévérez et le doute émergera de lui-même. A mesure de son développement, le trouble disparaîtra tout seul. Quand vous serez mûrs, alors la pratique deviendra comme l’eau qui coule dans un canal.
Je veux maintenant vous raconter une histoire dont j’ai été personnellement témoin. L’année de K’eng Tsu (1900), quand les puissances coloniales envoyèrent leurs troupes à Pékin (suite à la rébellion des boxers), j’ai quitté la Capitale avec la suite de l’empereur Kuang Hsu et l’impératrice douairière Tz’u Hsi. Nous nous hâtions vers la province de Shen Hsi ; chaque jour, nous marchions plusieurs dizaines de miles, sans avoir rien d’autre à manger que du riz. Sur la route, un passant offrit des crêpes de patates douces à l’empereur, nous les trouvâmes délicieuses et demandâmes ce que c’était. Vous pouvez imaginer que l’empereur, qui prenait des grands airs dédaigneux, avait faim dès les premiers miles parcourus. Dédain qu’il oublia quand il mangeât les crêpes de patate douce. Pourquoi avait-il tout laissé tombé, avait-il marché à pied et eu faim ? Parce que les forces étrangères en voulaient à sa vie et qu’il n’avait qu’une chose en tête : se sauver. Plus tard, quand la paix fut conclue, il retourna à la Capitale, reprenant ses grands airs dédaigneux. De nouveau, il refusa de marcher dans la rue ; il n’avait plus faim : s’il ne trouvait pas quelque met savoureux, il le recrachait. Pourquoi n’était-il plus capable de tout laisser tomber à présent ? Parce que les forces étrangères n’en voulaient plus à sa vie et qu’il n’était plus préoccupé par la nécessité de leur échapper. S’il s’était alors appliqué à remplir ses devoirs religieux comme si son salut en dépendait, que n’aurait-il pu accomplir ? Parce qu’il n’était pas persévérant, dès que les conditions n’étaient plus favorables, ses mauvaises habitudes réapparaissaient.
Chers amis, le démon meurtrier de l’impermanence en veut à notre vie et il ne consentira jamais à la paix ! Développons avec énergie notre persévérance pour quitter un jour la naissance-et-mort. Le maître Yuan Miao de Kao Feng a dit : « Si l’on veut rapidement arriver au succès dans la pratique Ch’an, il faut agir comme un homme qui est tombé dans un cul de basse fosse. Toutes ses pensées se réduisent à une seule : s’en sortir. Il y pense du matin au soir et du soir au matin. Si l’on parvient à cela et que l’on ne réalise pas très rapidement la Vérité, je veux bien être accusé de mensonge et être envoyé dans l’enfer où l’on arrache la langue. » Le vieux maître était très compatissant et craignait que nous ne manquions de persévérance : il fit ce vœu pour nous stimuler.
Mais attention : il y a dans la pratique Ch’an des choses faciles et difficiles, pour les anciens comme pour les débutants.
Difficulté pour les débutants : l’esprit nonchalant.
Les défaut les plus courants d’un débutant prennent leur source dans son incapacité à abandonner ses habitudes et ses erreurs de jugement ; sa complaisance dans l’ignorance, due à son orgueil et à la jalousie ; ses propres entraves nées de la concupiscence, de la colère, de la croyance au moi et de l’amour ; la paresse et la gourmandise ; l’attachement aux discriminations : entre le bien et le mal, moi et l’autre. Plein de tous ces défauts, comment peut-il être sensible à la vérité ? D’autres encore sont des enfants gâtés qui, cramponnés à leur mode de vie, ne supportent pas le moindre empêchement ; comment peuvent-ils se soumettre à l’entraînement qu’exige l’accomplissement de leurs devoirs religieux ? Ils ne pensent jamais à notre Maître, le Bouddha Shakyamuni et à qu’il vécut en quittant sa maison. Certains, qui connaissent un peu la littérature, se servent de leur savoir pour interpréter les anciens apophtegmes et, se targuant de leur compétence, se considérent comme supérieurs. Mais quand ils sont vraiment malades, ils ne peuvent endurer leurs souffrances avec patience. Ils perdent la tête au moment de mourir et se rendent alors compte que leur savoir était vain. Une repentance bien tardive !
Certains encore s’appliquent sérieusement à remplir leurs devoirs religieux, mais ils ne savent pas par où commencer leur pratique.
D’autres craignent que leur pensée vagabonde et sont incapables d’y mettre un frein. Ils se tourmentent ainsi toute la journée et reprochent leur état aux entraves de leur karma, s’en justifiant pour relâcher leurs efforts.
D’autres encore veulent empêcher leur pensée de vagabonder en serrant rageusement les poings pour maintenir leur vigilance, en bombant le torse et en ouvrant les yeux comme si cela était de la plus haute importance. Ils veulent sans mesure se battre contre le vagabondage de leur esprit ; non seulement, il ne parviendront pas à le fixer, mais ils n’aboutiront qu’à se créer des vomissements de sang, voire à tomber dans la folie.
Il est des gens qui craignent le vide, sans savoir qu’ils suscitent ainsi le « démon ». En conséquence, ils ne peuvent ni échapper au vide, ni atteindre l’éveil.
Il y a ceux encore qui sont obnubilés par la quête de l’éveil, sans savoir que chercher l’éveil ou vouloir atteindre l’état de Bouddha est une grande erreur : ils ne savent pas que l’on ne peut pas changer le gravier en riz et peuvent ainsi attendre leur éveil jusqu’à l’année du singe.
Il y a aussi ceux qui peuvent rester assis en méditation assez longtemps, le temps d’un ou deux bâtonnets, et en éprouvent de la joie ; mais on peut comparer cela à l’histoire de la tortue aveugle qui voulait parvenir en pleine mer à passer sa tête dans le trou d’une planche de bois. Parvenir à quoi que ce soit ainsi ne peut être considéré comme le résultat d’une bonne pratique mais se réduit à une question de chance. Par ailleurs, le démon de la joie se sera emparé de leur esprit.
Il y a des cas où l’agréable état de pureté, de netteté de l’esprit ne peuvent être atteint que dans le calme, à l’abri de l’agitation ; c’est pourquoi ceux qui méditent évitent les conditions perturbantes et recherchent des endroits tranquilles. Ceux-là ne se rendent pas comptent qu’ils acceptent alors de servir le démon de la discrimination entre perturbation et tranquillité.
Il existe bien des cas de ce genre. Il est difficile pour les débutants de connaître la bonne méthode de pratique ; la vigilance sans la contemplation mène à la confusion et à l’instabilité, et la contemplation sans vigilance revient à s’immerger dans la somnolence d’une eau stagnante.
Facilité pour les débutant : laisser tomber le fardeau du penser et donner naissance à une seul pensée.
Bien que la pratique puisse paraître difficile, elle devient aisée quand on en connaît la méthode. Où réside la facilité pour les débutants ? Il n’y a là rien de bien sorcier : il faut laisser tomber. Quoi ? Le fardeau des angoisses causé par l’ignorance. Comment ? Si vous vous trouvez au chevet d’un homme mort et que vous essayez de le tancer, il n’en sera pas troublé. Si vous lui donnez des coups de bâton, il ne vous les rendra pas. Autrefois, il aurait pu se laisser aller à l’ignorance, il ne le peut plus. Vivant, il aspirait à la renommée et à la richesse, à présent il ne désire plus rien. Auparavant, il était attaché à ses habitudes, maintenant il en est débarrassé. Aujourd’hui, il ne discrimine plus, il a tout laissé tombé !
Chers amis, réfléchissez à tout cela, je vous en prie. Quand nous aurons poussé notre dernier soupir, notre corps physique deviendra un cadavre. Parce que nous affectionnons notre corps, nous sommes incapables de tout laisser tomber, et créons en conséquence les notions de soi et d’autrui, de bien et de mal, de semblable et de dissemblable, nous acceptons et rejetons. Si nous considérons ce corps comme un cadavre, nous ne le chérirons pas et ne le considérerons pas comme notre. Ainsi, que ne pouvons-nous laisser tomber ?
Il nous suffit de tout laisser tomber, jour et nuit, que nous marchions, nous tenions debout, assis ou couchés, tranquilles ou dans l’agitation, affairés ou non ; dans tout notre corps, à l’intérieur comme à l’extérieur, il ne devrait y avoir qu’un doute uniforme, harmonisant et continu, pur de toute autre pensée, autrement dit, un hua t’ou, comparable à une longue épée suspendue dans le ciel, que nous emploierions à abattre un démon ou Bouddha si l’un et l’autre venait à apparaître. Ainsi, ne craindrons-nous plus les égarements des la pensée ; qui, alors, nous agitera ? Qui distinguera entre agitation et immobilité, être et non-être ? A redouter l’égarement, on accroît l’égarement. Être conscient de la pureté, c’est déjà l’avoir souillée. Craindre l’inexistence, c’est tomber aussitôt dans l’existence. Désirer atteindre l’état de Bouddha, c’est prendre immédiatement la voie des démons. C’est pourquoi, il est dit : « Porter de l’eau et aller chercher du bois pour faire un feu n’est rien d’autre que la Vérité merveilleuse. Le binage des champs et la culture de la terre sont entièrement des potentialités Ch’an ». Cela dit bien que le seul fait de s’asseoir les jambes croisées puisse être considérée comme la pratique Ch’an.
Difficulté pour les anciens : incapacité à sauter, après avoir atteint le sommet d’une perche de cent pieds.
En quoi réside la difficulté pour un pratiquant avancé ? Dans sa pratique, lorsque son doute est devenu sincère, si sa conscience, sa contemplation sont encore liés au domaine de la vie et de la mort, elles sont causes de sa chute dans le royaume de la non-existence. Il est déjà difficile d’atteindre ces stades, mais nombreux sont ceux qui ne peuvent les dépasser : arrivés au sommet d’une perche de cent pieds, ils n’osent pas franchir le pas et sauter. D’autres, après avoir atteint ces stades, sont capables d’une certaine sagesse dans l’immobilité et peuvent ainsi résoudre quelques kung an laissés par les anciens ; eux aussi abandonnent leur doute, croyant être arrivés à l’Éveil : ils composent des poèmes, des gathas, font étinceler leurs yeux, lèvent les sourcils et s’auto-qualifient d’illuminés sans savoir qu’ils sont des serviteurs du démon !
Il y a enfin ceux qui ne comprennent pas bien les sermons de Bodhidharma – « mettez fin à toutes les causes des formations, ne désirez rien ; alors, l’esprit comme un mur, vous pourrez entrer dans la Vérité » – et du sixième Patriarche : « Ne distinguez plus entre le bien et le mal ; à cet instant précis, quel est le visage réel de Hui Ming ? ». Ils pensent que la meilleure méthode est de s’asseoir les jambes croisées, comme des bûches desséchées dans une grotte. Ceux-là confondent un mirage et un trésor, et prennent une terre étrangère pour leur village natal. L’histoire de la vieille dame qui brûle sa cabane sert à corriger ces bûches de bois mort.
Facilité pour les vieux pratiquants : une pratique minutieuse et assidue.
En quoi réside l’aisance des vieux pratiquants ? Uniquement dans l’absence de complaisance envers soi-même et dans une pratique minutieuse et assidue ; la minutie doit être toujours plus minutieuse, l’assiduité plus assidue, la subtilité toujours plus subtile. Quand vient la maturité, le fond du tonneau se détache de lui-même ; en d’autres mots, adressez vous à des maîtres expérimentés : ils vous aideront à extraire le dernier tasseau (de l’obstruction).
Ainsi que le dit la chanson du maître Han Shan :
Sur la haute cime d’une montagne
Ne se voit que l’espace infini.
Comment s’établir dans la méditation, nul ne le sait.
La lune solitaire luit sur la mare glacée,
Mais dans la mare il n’y a point de lune ;
La lune est dans le ciel bleu de la nuit.
Cette chanson est à présent chantée,
(Mais) il n’y a pas de Ch’an.
Les deux premiers vers indiquent que ce qui est vraiment éternel est solitaire, ne relève de rien d’autre, et luit avec éclat sur le monde sans rencontrer d’obstruction, aucune. Le troisième vers explique que le corps merveilleux du Bhûthatatâ ne peut être localisé ni par les mondains ni par les bouddhas des trois époques : « nul ne le sait ». Les trois vers suivants (4ème, 5ème et 6ème) constituent l’interprétation expédiente de cet état par le vieux maître. Les deux derniers vers (7ème et 8ème) nous avertissent, de crainte que nous ne confondions le doigt et la lune, qu’aucun de ces mots n’est du Ch’an.
Ma causerie ressemble à une accumulation de choses ; elle est comme l’entrave de plantes rampantes et une rupture importune, car mots et paroles ne peuvent exprimer l’inexprimable. Quand les maîtres anciens recevaient leurs étudiants, ils se servaient de leur bâton ou criaient pour les éveiller : on ne s’embarrassait pas de tant de sophistication. On ne peut toutefois comparer présent et passé, il est donc impératif de pointer un doigt vers la lune.
Chers amis, réfléchissez à tout cela je vous prie ; après tout qui pointe le doigt et qui cherche la lune ?

Traduit de l’anglais par Fa Sheng Shakya

(Ordre Bouddhiste de Hsu Yun)
Extrait de Master Hsu Yun’s discourses and Dharma words, par Lu K’uan Yü.
Editions The Corporate Body of the Buddha Educationnal Fondation

Commentaires de Yao Xin Shakya sur le Hua-Tou dans notre pratique :

Placer tout notre être dans l’ici et maintenant, sans faire de séparations, tels est notre Hua-Tou.
Celui qui pratique et ce qui est pratiqué, sans distinctions.
Ainsi, nous plongeons dans les flammes de notre Hua-Tou, la « question sans question ».
L’abandon de tout notre être, de tout notre Corps-Esprit sans distinctions!
La, réside notre Hua-Tou
.Dans notre pratique, nous n’insistons pas sur le Hua-Tou en tant que tel, cela veut-il dire que nous ne le pratiquons pas?

Le questionnement, la boule de doute intense qui nous accompagne dans toute les activités de la journée, ainsi est le Hua-Tou.
Cette pratique qui mobilise notre Corps-Esprit, qui nous ramène à la racine de notre être, nous l’appelons Zuo-Chan. Nul, besoin de question précise, si ce n’est le questionnement toujours présent « Qu’est-ce que ceci? ».
C’est par cette attention toujours présente, cet abandon à ce qui est, que nous répondons à la « question sans question ».

En mettant notre Corps-Esprit dans la balance de la pratique sans chercher à obtenir de réponse à aucune question.

        Yao Xin Shakya

« La pratique du Chan » – Hsu Yun

675bf-xu-yun1

(Chers amis), vous êtes souvent venus demander que je vous instruise et j’ai vraiment honte (de mon incompétence). (Chaque jour), du matin au soir, vous avez travaillé dur, coupant le bois de chauffage, labourant les champs, labourant la terre et charriant des briques. Malgré cela, vous vous souvenez encore de vos devoirs religieux ; votre sérieux fait chaud au cœur. Moi, Hsu Yun, j’ai vraiment honte de mon insuffisance religieuse et de mon manque de vertu. Je ne suis pas qualifier pour vous instruire et ne peut que citer quelques anciens en guise de réponse à vos questions.
Pré-requis de la pratique.
1 – Ferme confiance dans la loi de causalité.
Qui que l’on soit, spécialement si l’on s’efforce de remplir des devoirs religieux, on devrait croire fermement dans la loi de causalité. Si l’on manque de foi et que l’on fait tout ce que l’on aime, non seulement on échouera à remplir ses devoirs religieux mais en outre nous ne pourrons échapper aux conséquences triplement (NDT : En allant dans l’enfer du feu, dans l’enfer du sang, où les habitants s’entredévorent comme des animaux et dans l’enfer des sabres d’Asipattra, où les feuilles et l’herbe son aussi aiguisées que des lames) malheureuses de nos actes.
Un vieux maître disait : « La manière dont on va dans cette vie présente, nous indique ce que l’on a fait dans une vie précédente ; de la même façon on peut se faire une idée de la manière dont se passera notre prochaine vie par nos actes dans cette vie actuelle. »
Il disait aussi : « Les conséquences de nos actes ne s’effacent pas, même après des centaines ou des milliers d’éons, quand elles arriveront à maturité nous devrons en subir les effets. »
Il est écrit dans le Soûtra de la Marche héroïque (大佛頂首楞嚴經): « Si la graine n’est pas bonne, le fruit sera mauvais ». Donc si l’on sème une bonne graine, on récolte un bon fruit ; si l’on sème une mauvaise graine, on récolte un mauvais fruit. Si l’on sème des graines de melon, on récoltera des melons ; si l’on sème des graines de haricot, on récoltera des haricots. C’est tout à fait vrai.
Puisque je vous parle de la loi de causalité, je vais vous raconter deux histoires pour l’illustrer.

La première concerne le massacre des hommes du clan Shakya par le Roi Virudhaka. Avant l’advenue en ce monde du Bouddha Shakyamuni, il y avait près de la ville de Kapila un village de pêcheurs près d’un grand étang. Un jour, à cause d’une grande sécheresse, l’étang se tarit et tous les poissons furent pris et mangés par les villageois. Le dernier poisson était énorme et avant qu’il ne fût tué, un garçon qui n’avait jamais mangé de poisson, joua avec lui et lui frappa trois fois sur la tête. Plus tard, du temps du Bouddha Shakyamuni, le roi Prasenajit qui suivait l’enseignement du Bouddha, se maria à une femme de clan Shakya, laquelle donna naissance au futur Roi Virudhaka. Jeune, Virudhaka fit ses études à Kapila, alors habitée par les hommes du clan Shakya. Un jour, en jouant, le garçon monta sur le siège du Bouddha, fut réprimandé et obligé d’en descendre. Il en garda de l’amertume et quand il devint roi, il poussa ses soldats à attaquer Kapila, tuant tous ses habitants. Cependant, le Bouddha souffrait d’une migraine depuis trois jours. Quand ses disciples lui demandèrent d’aider les pauvres habitants de Kapila, le Bouddha répondit que leur karma avait été fixé et que l’on n’y pouvait rien changé. Par ses pouvoirs miraculeux, Maudgalyayana, l’un des premiers disciples du Bouddha, essaya tout de même de sauver cinq cents hommes du clan Shakya et pensa qu’il pouvait leur donner refuge dans son propre bol, levé en l’air. Quand le bol fut rabaissé, tous les hommes s’étaient transformés en sang. Quand il fut interrogé par ses premiers disciples, le Bouddha raconta l’histoire (le kung an) des villageois qui dans le passé avaient tué tous les poissons de leur étang : le roi Virudhaka était alors le gros poisson et ses soldats les autres poissons de l’étang ; les habitants de Kapila qui venaient d’être tués étaient alors les villageois qui avaient mangé les poissons ; et le Bouddha lui-même avait été le garçon qui frappa trois fois sur la tête du gros poisson. C’est pourquoi il souffrait depuis trois jours de migraine. Puisque l’on ne peut pas échapper au karma, les hommes du clan Shakya, même ceux sauvés par Maudgalyayana, avaient partagé le même destin. Plus tard, le roi Virudhaka est re-né en enfer.
Puisque qu’une cause produit un effet qui devient lui-même une nouvelle cause, la théorie de la rétribution est sans limite. La loi de causalité est vraiment redoutable.
La seconde histoire est celle du maître Ch’an Pai Chang qui libéra un renard sauvage. Un jour, après une séance de méditation assise, alors que ses disciples s’étaient tous retirés, le vieux maître Pai Chang remarqua qu’un vieil homme était resté. Pai Chang lui demanda ce qu’il faisait et celui-ci lui répondit : « Je ne suis pas un être humain, mais l’esprit d’un renard sauvage. Dans ma vie précédente, j’étais l’abbé de ce monastère. Un jour, un moine me demanda : « Un homme qui travaille à se perfectionner moralement est-il soumis à la loi de la rétribution ? » Je lui répondis : « Non, il est libéré de la loi de la rétribution. » A cause de cette seule réponse, ma rétribution fut de vivre en tant qu’esprit d’un renard sauvage pendant cinq cents ans. Le maître sera-t-il assez compatissant pour m’éclairer sur tout ceci ? » Pai Chang répondit au vieil homme : « Posez-moi la même question que celle qui vous fut posée et je vous expliquerai ». L’homme demanda alors au maître : « Je souhaiterais demander au maître si quelqu’un qui travaille à son perfectionnement moral est soumis à la loi de la rétribution ? » Pai Chang alors répondit : « Il n’est pas sans voir les causes et les effets. » Sur ce, le vieil homme fut grandement éclairé. Il se prosterna pour remercier le maître et dit : « Je vous suis obligé d’avoir bien voulu me répondre et suis maintenant libéré de ce corps de renard. Je vis dans une petite grotte dans la montagne qui est derrière et j’espère que vous voudrez bien m’accorder les rites funéraires usuels pour un moine ». Le jour suivant, Pai Chang alla dans la montagne, où dans une grotte il explora le sol avec ses moines et découvrit un renard mort, pour lequel il conduisit les rites funéraires réservés aux moines.
Chers amis, après avoir écouté ces deux histoires, vous pouvez comprendre que la loi de causalité est effectivement une chose terrible. Même après avoir atteint la bouddhéité, le Bouddha souffrait encore d’une migraine due à ce qu’il avait fait dans une vie passée. La rétribution des actes est inexorable et un karma fixé inéluctable. Nous devrions donc être toujours attentifs et prendre garde à ne pas créer de nouvelles causes karmiques.
2 – Stricte observance des règles de la discipline (préceptes)
Dans notre effort pour remplir nos devoirs religieux, la priorité c’est l’observance des règles de la discipline. La discipline est la base de la Bodhi ; elle engendre l’équanimité et l’équanimité engendre la sagesse. Aucun perfectionnement moral n’est possible sans l’observance des règles de discipline. Le Soûtra de la Marche héroïque qui énumère quatre sortes de pureté, explique clairement que sans observance des règles de discipline, entrer en Samadhi ne nettoie pas des impuretés. Et même que les acquis de l’exercice du Dhyana pourront être la cause d’une chute dans le royaume de Mara et dans l’hérésie. C’est pourquoi l’observance des règles de discipline est si importante. Celui qui s’y soumet est soutenu et protégé par les rois Dragons et les Devas, respecté et craint par Mara et les hérétiques. Celui qui les rompt est un fraudeur dont les fantômes effaceront toutes traces.
Autrefois, dans l’État du Kashmir, près d’un monastère vivait un dragon très dangereux, qui faisait des ravages dans la région. Les cinq cents Arhats du monastère avaient échoué à le chasser malgré les pouvoirs qu’ils avaient acquis par l’exercice du Dhyana-Samadhi. Un jour, un moine vint qui n’entra pas en Samadhi mais dit au dragon : « Celui qui est sage et vertueux te demande de partir et de t’installer ailleurs ». Sur ce, le dragon quitta la place. Quand les Arhats lui demandèrent comment il avait fait fuir le dragon, le moine répondit : « Je n’ai pas usé des pouvoirs du Samadhi ; je respecte scrupuleusement la discipline et observe la plus petite règle comme s’il s’agissait de la plus importante ». Ainsi pouvons-nous en conclure que cinq cent Arhats, maîtres du Samadhi ne valent pas un seul moine qui observe strictement les règles de la discipline.
Si vous voulez me demander pourquoi alors le sixième Pratriarche a dit :
« Pourquoi la discipline devrait-elle être observée si l’esprit est déjà impartial ?
Pourquoi des hommes francs, sans détour devraient-ils pratiquer le Ch’an ? »
Je vous répondrai :
Votre esprit serait-il vraiment impartial et sans détour si la dame Chang O descendait nue de la lune et vous embrassait ? Et si quelqu’un vous insultait sans raison et vous battait, ne ressentiriez vous pas de colère et d’amertume ? Ne faites-vous aucune distinction entre l’animosité et l’affection, entre la haine et l’amour, entre vous et les autres, vrai et faux ? Si vous pouvez répondre par l’affirmative à tout ceci dites-le, sinon ne vous mentez pas délibérément.
3 – Une confiance ferme.
Une foi inébranlable est la base de notre pratique. Parce que la foi est la source de la doctrine et que sans confiance rien ne peut être créé de bon. Si nous voulons être libérés du cycle de la naissance-et-mort, nous devons d’abord développer une foi inébranlable. Le Bouddha a dit que les êtres vivants sur terre ont en eux-mêmes la sagesse méritoire du Tathagata et que s’ils ne la réalisent pas, c’est uniquement à cause de leurs erreurs de jugement et de leurs attachements. Il a aussi exposé toutes les portes du Dharma pour guérir de toutes les sortes de maladies dont souffrent les êtres vivants. Nous devons avoir toute confiance dans ce qu’il a expliqué et croire fermement que tous les êtres vivants peuvent atteindre la bouddhéité.
Mais pourquoi échouons-nous malgré notre confiance, notre foi à atteindre la bouddhéité ? Parce que nous n’appliquons pas la bonne méthode.
Illustrons ces propos. Nous savons que la sauce de soja provient des graines de soja, mais si nous ne fabriquons pas cette sauce nous-mêmes, les graines de soja ne donneront pas de sauce. Les graines de soja sont la base, mais nous savons aussi qu’il faut les mélanger avec du sel. Bref, si nous connaissons la recette, nous mettrons les graines dans de l’eau, les cuirons, les laisserons fermenter, filtrerons l’eau et y ajouterons du sel ; ainsi fait, nous sommes sûrs d’obtenir de la sauce de soja.
Il en est de même en ce qui concerne notre pratique religieuse : on ne peut atteindre la bouddhéité sans entraînement, mais on ne l’atteindra pas non plus si notre méthode est incorrecte. Si nous nous entraînons correctement, sans rechuter dans nos erreurs, sans regrets, nous sommes sûrs d’atteindre la bouddhéité.
Nous devons donc fermement croire que nous sommes tous fondamentalement des Bouddhas ; nous devons aussi croire fermement qu’une pratique correcte mène inéluctablement à la bouddhéité.
Maître Yung Chia a dit dans son Chant de l’Éveil :
« Quand le Réel est atteint, il n’y a plus d’ego ni de dharma,
Et en un instant le l’Avici est éradiqué.
Que ma langue me soit arrachée pour l’éternité si je mens. »
Le vieux maître était vraiment compatissant et s’est ainsi engagé pour que ses successeurs développent une foi inébranlable.
4 – Choix de la méthode d’entraînement.
Après avoir développé une foi ferme, on doit choisir une porte du Dharma pour s’entraîner. On ne devrait jamais en changer, et à partir de moment où l’on a fait son choix, qu’il s’agisse de la répétition du nom de Bouddha, de la récitation d’un mantra ou de la pratique du Chan, on devrait s’y tenir sans retour et sans regret, pour toujours. Si elle ne donne pas de résultat tout de suite, on doit s’y remettre le lendemain ; si elle ne donne pas de résultat cette année, on doit poursuivre l’année qui suit ; et si elle ne donne pas de résultat dans cette vie, on doit continuer dans la vie suivante.
Le vieux maître Kuei Shan disait : « Si l’on pratique dans chaque réincarnation, on peut espérer atteindre l’état de Bouddha ». Il y a beaucoup de gens qui sont irrésolus ; Ils apprennent à réciter le nom du Bouddha et décident de le répéter quelques jours, après quoi ils apprennent à pratiquer le Chan et décident de changer. A changer ainsi de méthodes, on peut toujours s’entraîner : on n’arrive à aucun résultat. N’est-ce pas dommage ?
La méthode d’entraînement Chan.
Bien qu’il existe beaucoup de portes du Dharma, le Bouddha, les Patriarches et grands maîtres s’accordèrent tous sur le fait que le Chan était une merveilleuse et insurpassable pratique.
Dans l’assemblée de Shurangama, le Bouddha demanda à Manjusri de choisir entre différentes méthodes d’Éveil ; il estima que la méthode du Bodhisattva Avalokitésvara, qui consiste à utiliser sa capacité d’écoute, était la meilleure. Tendre l’oreille à l’intérieur pour écouter notre Propre Nature, c’est une des méthodes de l’entraînement Chan.
Nous sommes actuellement dans une salle Chan, dans laquelle il convient de discuter de cet entraînement.
Les fondamentaux de la pratique Chan.
Nos activités quotidiennes s’accomplissent dans la vérité même. Existe-t-il en fait un endroit qui ne soit un Bodhimandala (NDT : lieu d’illumination) ? Une salle Chan n’est pas indispensable ; d’ailleurs, le Ch’an ce n’est pas s’asseoir pour méditer. Ce que l’on appelle une salle de Chan et la posture assise ne sont que des moyens, offerts à ceux dont la sagesse n’est pas assez profonde.
Quand on s’assoit pour s’entraîner, le corps et l’esprit doivent être bien maîtrisés. Sinon, le moindre mal provoquera une maladie et un grand mal un empêtrement avec le démon, ce qui est des plus regrettables. Dans une salle de Ch’an, des bâtonnets d’encens sont allumés pour vous aider à maîtriser votre corps et votre esprit, que vous soyez assis ou en train de marcher.
Il y a beaucoup d’autres manières d’y parvenir, mais je ne traiterais ici que des moyens essentiels.
Quand on s’assied pour la méditation Chan, la posture correcte doit être naturelle. Le milieu du corps ne doit pas porter en avant, ce serait attirer la chaleur interne vers le haut et provoquer après la séance des larmes, une mauvaise haleine, une respiration gênée, une perte d’appétit, voire des vomissements de sang. On ne doit pas non plus porter le milieu du corps et la tête vers l’arrière : il en résulterait facilement un alourdissement de l’esprit. Dès qu’on ressent que l’esprit devient somnolent, on doit ouvrir grand les yeux, remonter sa ceinture et remuer un peu les fesses : la somnolence disparaîtra naturellement.
Si l’on se jette dans la pratique avec trop de hâte et de fougue, on ressentira une certaine sécheresse dans la poitrine, assez ennuyeuse. Si tel est le cas, il vaut mieux arrêter l’entraînement le temps que le bâtonnet d’encens se consume sur une hauteur de un centimètre et demie, et le reprendre après avoir retrouvé son aise. Si l’on ne procède pas ainsi, on deviendra avec le temps surexcitable, voire fou ou possédé.
A mesure que la méditation assise devient efficiente, on rencontre tellement d’états d’esprit que l’on ne peut pas les énumérer tous ; mais si on ne s’en saisit pas, ce ne seront pas des entraves. C’est précisément ce qu’exprime le proverbe : « Ne vous interrogez pas sur l’extraordinaire et l’extraordinaire fera retraite ». Même si toutes sortes d’esprits malins viennent vous troubler, n’ayez pas peur, n’y accordez pas d’attention. Même si le Bouddha Shakyamuni vous pose une main sur la tête n’y prenez pas garde. Le Soûtra de la Marche héroïque dit : « Un état parfait est celui où l’esprit n’est pas troublé par ce qui est sacré et à l’abri des démons ».
Comment débuter dans la pratique : distinction entre l’hôte et le client.
Comment doit-on commencer la pratique Chan ? Dans le Soûtra de la Marche héroïque, il est question de deux mots : « Poussière étrangère ». C’est justement par ceci que nous devrions commencer. Il est dit dans le Soûtra : « Par exemple, un voyageur s’arrête dans une auberge pour y passer la nuit ou y prendre un repas ; aussitôt fait, il plie bagage et poursuit sa route. L’hôte, lui, ne doit aller nulle part. J’en déduis que celui qui ne reste pas est le client et que celui qui reste est l’hôte. Quand une chose est étrangère, elle ne reste pas. Ou bien, quand dans un ciel clair, le soleil se lève et illumine la maison par l’une de ses ouvertures, on voit la poussière voler dans l’air, alors que l’air lui-même ne bouge pas. Ainsi ce qui reste immobile peut-il être considéré comme vide tandis que seule bouge la poussière. »
La poussière étrangère illustre les pensées erronées et le vide constitue notre propre nature, laquelle est l’hôte permanent qui ne suit pas le client lors de son départ. Cela sert à illustrer le caractère éternel, immuable de notre Propre Nature, qui ne suit pas les flux et reflux des pensées. Il est donc dit : « Si nous ne prêtons attention à rien, nous ne sommes pas dérangé, même au milieu du monde. » Par la poussière, qui vole mais ne trouble pas le vide, qui lui-même reste immuable, on comprend que les pensées erronées affluent et refluent sans émouvoir notre Propre Nature, inaltérable dans sa bhûtatathatâ (NDT : son ainsité). C’est ce que signifie l’adage : « Si la pensée ne s’élève pas, il n’y a rien à réprouver ».
Si les mot « étranger » et « poussière » sont assez frustes, les débutants doivent bien faire la distinction entre « hôte » et « client » ; ainsi ne seront-ils plus chahutés par l’errance de leur pensée. Au fur et à mesure, ils apprendront ce qu’expriment les mots « vide » et « poussière », et ne seront plus gênés par leur pensée vagabonde. Il est dit : « Quand on sait ce qu’est l’erreur, il n’y pas plus de mal. » Si vous approfondissez et comprenez bien tout cela, une bonne moitié de ce qu’est la pratique Chan vous deviendra tout à fait claire.
Hua t’ou et doute.
Dans les temps anciens, les Patriarches et les Maîtres indiquaient comment l’esprit peut arriver directement à la conception nette de notre Propre nature et parvenir à la boddhéité. Comme Bodhidharma, qui tranquillisait l’esprit et le sixième Patriarche, qui ne parlait que de « perception de notre Propre nature », tous préconisaient seulement sa claire connaissance, sans faux-semblant. Ils ne recommandaient pas d’examiner un huatou, mais ils s’aperçurent par la suite que les hommes devenaient incertains, qu’ils n’avaient plus assez de détermination, qu’ils se laissaient aller à jouer des tours et qu’ils se targuaient de posséder les joyaux des autres. C’est pourquoi, ces Maîtres furent contraints de fonder des lignées personnelles, chacune ayant sa propre méthode ; de ce moment, parut la technique du hua t’ou.
Il existe de nombreux huatou, tels que : « Toutes choses peuvent être ramenées à l’Un, à quoi l’Un peut-il être ramené ? », « Avant que tu fusses né, quel était ton vrai visage ? ». De nos jours le huatou le plus utilisé est : « Qui répète le nom de Bouddha ? »
Qu’est-ce qu’un Huatou, le mot-tête ? Le mot est ce que l’on prononce, la tête ce qui précède l’énonciation. Par exemple, « Amithâba-Bouddha » est un mot, ce qui est avant son énonciation est le huatou. Ce que l’on appelle ainsi est le moment qui précède la venue de la pensée, accompagnée du mot qui la porte. Aussitôt que celle-ci vient à la conscience, elle devient Hua-wei. L’instant qui précède l’apparition d’une pensée peut aussi être appelé le « non-né ». Ce vide n’est ni troublé ni obscurci, ni immobile ni borné est nommé le « sans-fin ». L’action de diriger sans relâche son attention vers l’intérieur de soi, à l’exclusion de toute autre chose, s’appelle « examiner le hua t’ou » ou « faire attention au huatou ».
Quand on examine le huatou, la chose la plus importante est de faire naître un doute. Le doute est la béquille du hua t’ou. Par exemple, quand on pose la question : « Qui répète le nom du Bouddha ? » chacun sait que c’est lui-même ; mais est-ce répété en esprit ou par les lèvres ? Si ce sont les lèvres qui répètent, pourquoi ne le répètent-elles pas pendant le sommeil ? Si c’est en esprit, à quoi ressemble cet esprit ? Celui-ci étant intangible, on ne peut répondre avec certitude. Par conséquent, on éprouve un léger sentiment de doute à la question « Qui ? ». Ce doute ne doit pas être grossier ; plus il est fin, mieux c’est. En tout temps et en tout lieu, on doit rester plongé dans ce doute, comme dans une rivière au courant continu, sans laisser apparaître d’autre pensée. Si le doute se maintient, n’essayez pas de l’entamer ; s’il s’estompe, on doit doucement le ranimer. Les débutants trouveront que la pratique du hua t’ou est plus efficace dans un endroit tranquille qu’au milieu de l’agitation. Cependant, on ne devrait pas faire la distinction, mais rester indifférent à l’efficience ou non de la pratique, à la tranquillité et à l’agitation. On devrait pratiquer avec un esprit uni.
Dans le hua t’ou « Qui répète le nom du Bouddha ? », on doit se concentrer sur le mot « qui », les autres ne servant qu’à donner l’idée générale de la phrase. Par exemple dans « Qui porte cette robe et mange du riz ? », « Qui défèque et urine ? », « Qui met fin à l’ignorance ? » et « Qui peut savoir et sentir ? », on doit mettre l’accent sur le mot « Qui », que l’on marche, reste debout, couché ou appuyé sur quelque chose ; alors nous pourront susciter un doute sans utiliser notre faculté de réflexion et notre intelligence discriminative. La question « Qui ? » est donc une merveilleuse technique dans l’entraînement Chan. On ne doit toutefois pas la répéter comme les pratiquants de la Terre pure répètent le nom du Bouddha. On ne doit pas plus chercher à discerner par le raisonnement. Ceux qui récitent sans cesse « Qui répète le nom du Bouddha ? » feraient mieux de répéter le nom d’Amitabha Bouddha, cela leur serait plus bénéfique. Il y a aussi ceux qui se complaisent à penser à toutes sortes de choses et à fureter en esprit ici et là, disant qu’ils font ainsi naître le doute ; ceux-ci n’ont pas conscience que plus ils pensent, plus ils produisent de pensées erronées, comme quelqu’un qui voudrait monter mais en réalité descend. Il faut que vous preniez garde à tout cela.
D’ordinaire, les débutants font naître un doute assez grossier ; il peut s’arrêter brusquement, pour reprendre ensuite ; paraît tantôt familier et tantôt étrange. Cela n’est pas le bon doute, c’est seulement leur pensée. A mesure que l’esprit vagabond aura été maîtrisé, on pourra mettre un frein au processus de la pensée et seulement alors on pourra parler d’examen du hua t’ou. Avec le temps, on acquerra de l’expérience dans la pratique, et il n’y aura plus besoin de provoquer le doute, qui s’installera de lui-même. En réalité, au début, la pratique consiste seulement à mettre fin au vagabondage de la pensée. Quand le vrai doute apparaît de lui-même, on peut alors parler d’entraînement. C’est à ce moment que l’on atteint une « porte stratégique », mais attention : il est alors facile de se tromper de chemin.
Tout d’abord, il y a un moment où l’on éprouve une complète pureté et une légèreté extrême ; si l’on n’est pas vigilant, si l’on n’observe pas le phénomène de près : on tombe dans la torpeur. Si l’on pratique sous la direction d’un maître accompli, celui-ci reconnaîtra l’état dans lequel l’étudiant se trouve et le frappera avec l’habituel bâton plat, dissipant ainsi le brouillard qui voile le ciel. Beaucoup de pratiquants sont à ce moment précis éveillés à la vérité. Ensuite, quand l’état de pureté et de vide apparaît, si le doute disparaît, on connaît un état qui ne peut être qualifié, où le méditant est comme immergé silencieusement dans de l’eau stagnante. Dans cet état, il faut immédiatement faire naître le doute, prendre conscience de l’état dans lequel on se trouve et le contempler. Avoir conscience de cet état, c’est se libérer de l’illusion ; c’est la sagesse. Le contempler, c’est faire le clair sur la situation ; c’est l’équanimité. Cet état d’esprit unifié sera parfaitement tranquille et rayonnant, dans son équanimité totale, sa lucidité parfaite et son intelligence pénétrante, comme la fumée persistante d’un feu solitaire. Dans cet état, on devrait être pourvu de l’œil de diamant et se retenir de faire naître quoi que ce soit d’autre, au risque sinon d’ajouter une autre tête à sa propre tête.
Autrefois, un moine demanda au Maître Chao Chou : « Que doit-on faire quand il n’y a rien à emporter ? » Chao Chou répondit : « Laissez tomber. » Le moine le questionna de nouveau : « Que puis-je laisser tomber si il n’y a rien à prendre ? » Chao Chou répliqua : « Si vous ne pouvez pas laisser tomber, alors emportez-le. » C’est exactement la même chose que l’adage qui dit que seul celui qui boit sait si l’eau est froide ou chaude. Cela ne peut être exprimé par des mots, seul celui qui atteint cet état d’esprit peut en connaître le goût. C’est ce que veulent dire ces vers :
Lorsque vous rencontrez un maître d’escrime, montrez-lui votre sabre.
Ne donnez pas votre poème à qui n’est pas lui-même poète.
Porter attention à un huatou et tendre l’oreille à sa Vraie nature.
On pourrait me demander : « Comment la méthode du bodhisattva Avalokitshvara, consistant à tendre l’oreille vers l’intérieur de soi pour entendre sa Vraie nature, peut-elle être considéré comme une pratique Ch’an ? » Je viens de parler de l’examen du hua t’ou, c’est-à-dire : diriger sans relâche la lumière vers l’intérieur de soi, sur « ce qui n’est pas né et ne meurt pas » – le hua t’ou. Tendre l’oreille à notre véritable nature signifie que vous devez aussi diriger votre ouïe sans relâche et avec un seul but : entendre votre Vraie nature. Tendre l’oreille, c’est re-tourner son attention. « Ce qui n’est pas né et ne meurt pas » n’est rien d’autre que notre Vraie nature. Quand l’ouïe et la vue suivent le son et la forme dans le courant du monde, l’ouïe ne va pas plus loin que le son, la vue ne porte pas plus loin que l’apparence. Quand l’attention est tournée vers l’intérieur pour contempler notre Vraie nature, on va à contre-courant. Quand l’écoute et le regard ne sont plus tendus vers le son et les formes, ils deviennent fondamentalement purs, lumineux et ne diffèrent plus. Il convient de savoir que ce que nous appelons « faire attention au hua t’ou » et « tendre l’oreille à sa Vraie nature » n’utilisent pas vraiment l’œil pour observer et l’oreille pour écouter. Si l’on emploie l’œil pour observer et l’oreille pour écouter, la tension s’effectuera nécessairement en direction d’un son et d’une forme, donc vers l’extérieur ; cela pourrait s’appeler « s’abandonner au courant du monde ». S’il y a concentration sur « ce qui n’est pas né et ne meurt pas », sans chercher à percevoir un son ou une forme, on va à contre-courant ; c’est cela examiner un hua t’ou ou « tendre l’oreille à sa Vraie nature ».
Être sérieux et persévérant dans sa volonté de quitter le samsara.
La pratique Chan exige d’avoir sérieusement envie de renoncer au royaume de la naissance-et-mort et d’être très persévérant. Si l’on n’est pas sérieux, le doute est impossible à faire émerger et l’effort vain. Le défaut de persévérance mène à la paresse et la pratique en deviendra discontinue. Persévérez et le doute émergera de lui-même. A mesure de son développement, le trouble disparaîtra tout seul. Quand vous serez mûrs, alors la pratique deviendra comme l’eau qui coule dans un canal.
Je veux maintenant vous raconter une histoire dont j’ai été personnellement témoin. L’année de K’eng Tsu (1900), quand les puissances coloniales envoyèrent leurs troupes à Pékin (suite à la rébellion des boxers), j’ai quitté la Capitale avec la suite de l’empereur Kuang Hsu et l’impératrice douairière Tz’u Hsi. Nous nous hâtions vers la province de Shen Hsi ; chaque jour, nous marchions plusieurs dizaines de miles, sans avoir rien d’autre à manger que du riz. Sur la route, un passant offrit des crêpes de patates douces à l’empereur, nous les trouvâmes délicieuses et demandâmes ce que c’était. Vous pouvez imaginer que l’empereur, qui prenait des grands airs dédaigneux, avait faim dès les premiers miles parcourus. Dédain qu’il oublia quand il mangeât les crêpes de patate douce. Pourquoi avait-il tout laissé tombé, avait-il marché à pied et eu faim ? Parce que les forces étrangères en voulaient à sa vie et qu’il n’avait qu’une chose en tête : se sauver. Plus tard, quand la paix fut conclue, il retourna à la Capitale, reprenant ses grands airs dédaigneux. De nouveau, il refusa de marcher dans la rue ; il n’avait plus faim : s’il ne trouvait pas quelque met savoureux, il le recrachait. Pourquoi n’était-il plus capable de tout laisser tomber à présent ? Parce que les forces étrangères n’en voulaient plus à sa vie et qu’il n’était plus préoccupé par la nécessité de leur échapper. S’il s’était alors appliqué à remplir ses devoirs religieux comme si son salut en dépendait, que n’aurait-il pu accomplir ? Parce qu’il n’était pas persévérant, dès que les conditions n’étaient plus favorables, ses mauvaises habitudes réapparaissaient.
Chers amis, le démon meurtrier de l’impermanence en veut à notre vie et il ne consentira jamais à la paix ! Développons avec énergie notre persévérance pour quitter un jour la naissance-et-mort. Le maître Yuan Miao de Kao Feng a dit : « Si l’on veut rapidement arriver au succès dans la pratique Chan, il faut agir comme un homme qui est tombé dans un cul de basse fosse. Toutes ses pensées se réduisent à une seule : s’en sortir. Il y pense du matin au soir et du soir au matin. Si l’on parvient à cela et que l’on ne réalise pas très rapidement la Vérité, je veux bien être accusé de mensonge et être envoyé dans l’enfer où l’on arrache la langue. » Le vieux maître était très compatissant et craignait que nous ne manquions de persévérance : il fit ce vœu pour nous stimuler.
Mais attention : il y a dans la pratique Chan des choses faciles et difficiles, pour les anciens comme pour les débutants.
Difficulté pour les débutants : l’esprit nonchalant.
Les défaut les plus courants d’un débutant prennent leur source dans son incapacité à abandonner ses habitudes et ses erreurs de jugement ; sa complaisance dans l’ignorance, due à son orgueil et à la jalousie ; ses propres entraves nées de la concupiscence, de la colère, de la croyance au moi et de l’amour ; la paresse et la gourmandise ; l’attachement aux discriminations : entre le bien et le mal, moi et l’autre. Plein de tous ces défauts, comment peut-il être sensible à la vérité ? D’autres encore sont des enfants gâtés qui, cramponnés à leur mode de vie, ne supportent pas le moindre empêchement ; comment peuvent-ils se soumettre à l’entraînement qu’exige l’accomplissement de leurs devoirs religieux ? Ils ne pensent jamais à notre Maître, le Bouddha Shakyamuni et à qu’il vécut en quittant sa maison. Certains, qui connaissent un peu la littérature, se servent de leur savoir pour interpréter les anciens apophtegmes et, se targuant de leur compétence, se considèrent comme supérieurs. Mais quand ils sont vraiment malades, ils ne peuvent endurer leurs souffrances avec patience. Ils perdent la tête au moment de mourir et se rendent alors compte que leur savoir était vain. Une repentance bien tardive !
Certains encore s’appliquent sérieusement à remplir leurs devoirs religieux, mais ils ne savent pas par où commencer leur pratique.
D’autres craignent que leur pensée vagabonde et sont incapables d’y mettre un frein. Ils se tourmentent ainsi toute la journée et reprochent leur état aux entraves de leur karma, s’en justifiant pour relâcher leurs efforts.
D’autres encore veulent empêcher leur pensée de vagabonder en serrant rageusement les poings pour maintenir leur vigilance, en bombant le torse et en ouvrant les yeux comme si cela était de la plus haute importance. Ils veulent sans mesure se battre contre le vagabondage de leur esprit ; non seulement, il ne parviendront pas à le fixer, mais ils n’aboutiront qu’à se créer des vomissements de sang, voire à tomber dans la folie.
Il est des gens qui craignent le vide, sans savoir qu’ils suscitent ainsi le « démon ». En conséquence, ils ne peuvent ni échapper au vide, ni atteindre l’éveil.
Il y a ceux encore qui sont obnubilés par la quête de l’éveil, sans savoir que chercher l’éveil ou vouloir atteindre l’état de Bouddha est une grande erreur : ils ne savent pas que l’on ne peut pas changer le gravier en riz et peuvent ainsi attendre leur éveil jusqu’à l’année du singe.
Il y a aussi ceux qui peuvent rester assis en méditation assez longtemps, le temps d’un ou deux bâtonnets, et en éprouvent de la joie ; mais on peut comparer cela à l’histoire de la tortue aveugle qui voulait parvenir en pleine mer à passer sa tête dans le trou d’une planche de bois. Parvenir à quoi que ce soit ainsi ne peut être considéré comme le résultat d’une bonne pratique mais se réduit à une question de chance. Par ailleurs, le démon de la joie se sera emparé de leur esprit.
Il y a des cas où l’agréable état de pureté, de netteté de l’esprit ne peuvent être atteint que dans le calme, à l’abri de l’agitation ; c’est pourquoi ceux qui méditent évitent les conditions perturbantes et recherchent des endroits tranquilles. Ceux-là ne se rendent pas comptent qu’ils acceptent alors de servir le démon de la discrimination entre perturbation et tranquillité.
Il existe bien des cas de ce genre. Il est difficile pour les débutants de connaître la bonne méthode de pratique ; la vigilance sans la contemplation mène à la confusion et à l’instabilité, et la contemplation sans vigilance revient à s’immerger dans la somnolence d’une eau stagnante.
Facilité pour les débutant : laisser tomber le fardeau du penser et donner naissance à une seul pensée.
Bien que la pratique puisse paraître difficile, elle devient aisée quand on en connaît la méthode. Où réside la facilité pour les débutants ? Il n’y a là rien de bien sorcier : il faut laisser tomber. Quoi ? Le fardeau des angoisses causé par l’ignorance. Comment ? Si vous vous trouvez au chevet d’un homme mort et que vous essayez de le tancer, il n’en sera pas troublé. Si vous lui donnez des coups de bâton, il ne vous les rendra pas. Autrefois, il aurait pu se laisser aller à l’ignorance, il ne le peut plus. Vivant, il aspirait à la renommée et à la richesse, à présent il ne désire plus rien. Auparavant, il était attaché à ses habitudes, maintenant il en est débarrassé. Aujourd’hui, il ne discrimine plus, il a tout laissé tombé !
Chers amis, réfléchissez à tout cela, je vous en prie. Quand nous aurons poussé notre dernier soupir, notre corps physique deviendra un cadavre. Parce que nous affectionnons notre corps, nous sommes incapables de tout laisser tomber, et créons en conséquence les notions de soi et d’autrui, de bien et de mal, de semblable et de dissemblable, nous acceptons et rejetons. Si nous considérons ce corps comme un cadavre, nous ne le chérirons pas et ne le considérerons pas comme notre. Ainsi, que ne pouvons-nous laisser tomber ?
Il nous suffit de tout laisser tomber, jour et nuit, que nous marchions, nous tenions debout, assis ou couchés, tranquilles ou dans l’agitation, affairés ou non ; dans tout notre corps, à l’intérieur comme à l’extérieur, il ne devrait y avoir qu’un doute uniforme, harmonisant et continu, pur de toute autre pensée, autrement dit, un hua t’ou, comparable à une longue épée suspendue dans le ciel, que nous emploierions à abattre un démon ou Bouddha si l’un et l’autre venait à apparaître. Ainsi, ne craindrons-nous plus les égarements des la pensée ; qui, alors, nous agitera ? Qui distinguera entre agitation et immobilité, être et non-être ? A redouter l’égarement, on accroît l’égarement. Être conscient de la pureté, c’est déjà l’avoir souillée. Craindre l’inexistence, c’est tomber aussitôt dans l’existence. Désirer atteindre l’état de Bouddha, c’est prendre immédiatement la voie des démons. C’est pourquoi, il est dit : « Porter de l’eau et aller chercher du bois pour faire un feu n’est rien d’autre que la Vérité merveilleuse. Le binage des champs et la culture de la terre sont entièrement des potentialités Chan ». Cela dit bien que le seul fait de s’asseoir les jambes croisées puisse être considérée comme la pratique Chan.
Difficulté pour les anciens : incapacité à sauter, après avoir atteint le sommet d’une perche de cent pieds.
En quoi réside la difficulté pour un pratiquant avancé ? Dans sa pratique, lorsque son doute est devenu sincère, si sa conscience, sa contemplation sont encore liés au domaine de la vie et de la mort, elles sont causes de sa chute dans le royaume de la non-existence. Il est déjà difficile d’atteindre ces stades, mais nombreux sont ceux qui ne peuvent les dépasser : arrivés au sommet d’une perche de cent pieds, ils n’osent pas franchir le pas et sauter. D’autres, après avoir atteint ces stades, sont capables d’une certaine sagesse dans l’immobilité et peuvent ainsi résoudre quelques kung an laissés par les anciens ; eux aussi abandonnent leur doute, croyant être arrivés à l’Éveil : ils composent des poèmes, des gathas, font étinceler leurs yeux, lèvent les sourcils et s’auto-qualifient d’illuminés sans savoir qu’ils sont des serviteurs du démon !
Il y a enfin ceux qui ne comprennent pas bien les sermons de Bodhidharma – « mettez fin à toutes les causes des formations, ne désirez rien ; alors, l’esprit comme un mur, vous pourrez entrer dans la Vérité » – et du sixième Patriarche : « Ne distinguez plus entre le bien et le mal ; à cet instant précis, quel est le visage réel de Hui Ming ? ». Ils pensent que la meilleure méthode est de s’asseoir les jambes croisées, comme des bûches desséchées dans une grotte. Ceux-là confondent un mirage et un trésor, et prennent une terre étrangère pour leur village natal. L’histoire de la vieille dame qui brûle sa cabane sert à corriger ces bûches de bois mort.
Facilité pour les vieux pratiquants : une pratique minutieuse et assidue.
En quoi réside l’aisance des vieux pratiquants ? Uniquement dans l’absence de complaisance envers soi-même et dans une pratique minutieuse et assidue ; la minutie doit être toujours plus minutieuse, l’assiduité plus assidue, la subtilité toujours plus subtile. Quand vient la maturité, le fond du tonneau se détache de lui-même ; en d’autres mots, adressez vous à des maîtres expérimentés : ils vous aideront à extraire le dernier tasseau (de l’obstruction).
Ainsi que le dit la chanson du maître Han Shan :
Sur la haute cime d’une montagne
Ne se voit que l’espace infini.
Comment s’établir dans la méditation, nul ne le sait.
La lune solitaire luit sur la mare glacée,
Mais dans la mare il n’y a point de lune ;
La lune est dans le ciel bleu de la nuit.
Cette chanson est à présent chantée,
(Mais) il n’y a pas de Chan.
Les deux premiers vers indiquent que ce qui est vraiment éternel est solitaire, ne relève de rien d’autre, et luit avec éclat sur le monde sans rencontrer d’obstruction, aucune. Le troisième vers explique que le corps merveilleux du Bhûthatatâ ne peut être localisé ni par les mondains ni par les bouddhas des trois époques : « nul ne le sait ». Les trois vers suivants (4ème, 5ème et 6ème) constituent l’interprétation expédiente de cet état par le vieux maître. Les deux derniers vers (7ème et 8ème) nous avertissent, de crainte que nous ne confondions le doigt et la lune, qu’aucun de ces mots n’est du Chan.
Ma causerie ressemble à une accumulation de choses ; elle est comme l’entrave de plantes rampantes et une rupture importune, car mots et paroles ne peuvent exprimer l’inexprimable. Quand les maîtres anciens recevaient leurs étudiants, ils se servaient de leur bâton ou criaient pour les éveiller : on ne s’embarrassait pas de tant de sophistication. On ne peut toutefois comparer présent et passé, il est donc impératif de pointer un doigt vers la lune.
Chers amis, réfléchissez à tout cela je vous prie ; après tout qui pointe le doigt et qui cherche la lune ? 

Traduit de l’anglais par Fa Sheng Shakya

(Ordre Bouddhiste de Hsu Yun)
Extrait de Master Hsu Yun’s discourses and Dharma words, par Lu K’uan Yü.
Editions The Corporate Body of the Buddha Educationnal Fondation

Commentaires de Yao Xin Shakya sur le Hua-Tou dans notre pratique :

Placer tout notre être dans l’ici et maintenant, sans faire de séparations, tels est notre Hua-Tou.
Celui qui pratique et ce qui est pratiqué, sans distinctions.
Ainsi, nous plongeons dans les flammes de notre Hua-Tou, la « question sans question ».
L’abandon de tout notre être, de tout notre Corps-Esprit sans distinctions!
La, réside notre Hua-Tou
.Dans notre pratique, nous n’insistons pas sur le Hua-Tou en tant que tel, cela veut-il dire que nous ne le pratiquons pas?

Le questionnement, la boule de doute intense qui nous accompagne dans toute les activités de la journée, ainsi est le Hua-Tou.
Cette pratique qui mobilise notre Corps-Esprit, qui nous ramène à la racine de notre être, nous l’appelons Zuo-Chan. Nul, besoin de question précise, si ce n’est le questionnement toujours présent « Qu’est-ce que ceci? ».
C’est par cette attention toujours présente, cet abandon à ce qui est, que nous répondons à la « question sans question ».

En mettant notre Corps-Esprit dans la balance de la pratique sans chercher à obtenir de réponse à aucune question.

        Yao Xin Shakya